Qui se ressemble s’assemble : la similarité avec les espèces exotiques résidentes augmente le succès d’établissement de nouveaux envahisseurs végétaux

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Succès d’établissement des EEE et prédiction des invasions, interactions avec les espèces indigènes et espèces exotiques en place, résistance et résilience de l’écosystème d’accueil sont des thèmes régulièrement explorés par les chercheurs. Depuis quelques années, ces questions sont régulièrement abordées par les gestionnaires d’espaces naturels. Comment améliorer les choix de gestion des EEE dans un contexte de gestion globale d’écosystème aux interactions complexes, présentant des assemblages de communautés exotiques et indigènes ? Les recherches de Sheppard et ses collègues portant sur les liens entre succès d’établissement et similarité avec les espèces exotiques déjà présentes proposent des pistes de réflexion intéressantes quant à la détection précoce et la gestion multi-espèces. Cet article en propose une synthèse.

 


 

Les recherches menées sur les caractères spécifiques des espèces exotiques devenant envahissantes ont permis d’identifier, par exemple pour les plantes, des taux de croissance relative élevés ou d’importantes surfaces foliaires, sans pour autant proposer un “portrait-robot” de ces espèces. Par ailleurs, les caractéristiques des communautés d’accueil, dont la diversité, jouent sur leur résistance biotique aux invasions et font partie des facteurs explicatifs des évolutions observables. De même, la similarité fonctionnelle entre espèces pourrait influencer le succès des invasions de manière plus importante que la richesse et les caractéristiques des espèces présentes.

Prévoir les invasions biologiques végétales ?

Afin de quantifier les différences écologiques entre les espèces indigènes et exotiques d’un même écosystème pour tenter de mieux évaluer les conditions d’invasions, deux approches ont été développées. L’une porte sur les distances phylogénétiques, c’est-à-dire le degré de parenté génétique entre espèces, et l’autre sur les “traits d’histoire de vie“, descripteurs biologiques comportementaux ou écologiques mesurables.

Les diverses recherches engagées selon ces deux approches ont donné des résultats variables selon les contextes. Les interactions négatives et neutres (antagonismes directs ou indirects réduisant les performances des envahisseurs ou conduisant à des invasions transitoires) se sont toutefois avérées plus fréquentes que les interactions positives (facilitation). Cependant, très peu de travaux portaient sur la contribution d’espèces exotiques déjà résidentes au succès d’une invasion.

Considérant que la compréhension des interactions entre multiples espèces exotiques végétales revêtait une grande importance pour les décisions de gestion et la construction de modèles prédictifs de futures invasions, Christine S. Sheppard et ses collègues ont réalisé une analyse destinée à déterminer si la similarité avec les espèces exotiques résidentes facilitait ou entravait l’établissement de nouveaux envahisseurs [1]. Il s’agissait également de tester l’hypothèse de naturalisation de Darwin (HND), proposant que la dissemblance avec les espèces indigènes puisse faciliter l’établissement d’espèces exotiques en raison de niches vides, d’une concurrence réduite ou d’un manque d’ennemis naturels [2] (Figure 1).

FIGURE 1 : tests de l’hypothèse de naturalisation de Darwin (HND) (a) Test traditionnel : considérer la dissemblance biotique (phylogénétique et de traits) d’un nouvel envahisseur avec la communauté native. Si le succès de l’invasion augmente avec cette dissemblance, les résultats sont interprétés comme supportant l’hypothèse, dans le cas contraire le filtrage environnemental domine. b) Test des auteurs : prendre en compte la dimension temporelle de l’invasibilité des communautés et tester la dissemblance biotique des nouveaux envahisseurs avec les espèces exotiques déjà installées. (c) Mécanismes d’explication possibles : le filtrage environnemental peut conduire à une réduction du succès d’invasion avec une dissimilarité biotique croissante, en raison de la non-adaptation des espèces exotiques au milieu d’introduction. Si la compétition est le mécanisme dominant, le succès de l’invasion devrait augmenter avec la dissemblance biotique suggérée par la HND (niches vides). Inversement, un succès accru avec une dissemblance moindre peut également se produire si les différences de forme physique stimulent la compétition. Si la facilitation domine, le succès accru de l’invasion devrait être associé à une plus faible dissemblance en cas de facilitation symétrique (espèces proches) et de plus grande dissemblance en cas de facilitation asymétrique (espèces éloignées).

Traiter des données multiples, phylogénétiques et traits d’histoire de vie

Pour ce faire, ils ont utilisé une base de données concernant des parcelles de végétation en prairies permanentes situées en France (métropole et Corse) [3] et ont retenu 121 espèces exotiques pour lesquelles les données nécessaires à l’étude étaient disponibles.

Les distances phylogénétiques et entre traits d’histoire de vie des espèces exotiques ont été calculées pour chaque espèce et chaque parcelle, à partir de base de données préexistantes [4]. Les traits sélectionnés étaient la surface foliaire spécifique, la hauteur maximale à maturité et la biomasse de graines, combinées ensuite pour permettre les calculs. D’autres facteurs explicatifs pouvant influencer le succès d’une invasion, tels que la similarité biotique avec les espèces indigènes, le temps de résidence minimum (TRM), la richesse en espèces ou les variations climatiques ont été adjoints à l’analyse. Le TRM représente le temps de présence connue de l’espèce dans la parcelle, obtenu principalement à l’aide de la base de données Global Alien Species First Record [5], qui fournit des informations sur l’année où une espèce exotique a été enregistrée pour la première fois dans une région. Le TRM des espèces identifiées dans l’étude variait de 6 à 517 ans.

Des précautions et des résultats

Dans leur article, les auteurs expliquent assez longuement les précautions mises en place lors de la phase de calculs pour réduire ou éviter biais et erreurs et obtenir une analyse satisfaisante du succès d’établissement des espèces. Ils ont successivement utilisé différents modèles de traitements de ces données pour analyser le succès d’établissement des espèces, les dissemblances biotiques et les influences des variations climatiques.

Dans toutes les analyses, les plus petites distances phylogénétiques et de traits caractéristiques des espèces exotiques résidentes ont augmenté le succès d’établissement de nouveaux envahisseurs. Un TRM plus long a également augmenté le succès de l’établissement des espèces exotiques ainsi que la richesse en espèces et la température annuelle moyenne, mais il a diminué avec les précipitations annuelles (Figure 2).

FIGURE 2 : Probabilité modélisée de succès d’établissement d’une espèce exotique en fonction : a) du minimum de distance phylogénétique b) de la distance minimale entre les caractères des nouveaux envahisseurs et des espèces exotiques résidentes c) de la distance phylogénétique minimale par rapport aux espèces indigènes d) du Temps de séjour minimum (TRM) de l’espèce exotique focale e) de la richesse spécifique par parcelle. En gras, les prédictions du modèle, en gris clair les intervalles de confiance à 95%.

Les auteurs notent que leur analyse a systématiquement montré que la similarité biotique avec les espèces exotiques résidentes augmentait le succès d’établissement de nouveaux envahisseurs au niveau de la parcelle végétale. Cette similarité faciliterait les invasions, soit directement, soit via des forces d’interactions indirectes. En revanche, en ce qui concerne la similarité biotique avec les espèces natives, des résultats contradictoires ont été trouvés, soulignant que divers mécanismes peuvent agir simultanément. Comme l’envisage l’hypothèse de naturalisation de Darwin, bien que les nouveaux envahisseurs puissent bénéficier d’une meilleure adaptation à l’environnement local, ils peuvent utiliser différentes stratégies fonctionnelles.

Ces résultats mitigés sont conformes aux conclusions de travaux antérieurs (Marx et al., 2016 [6] ; Ordonez, 2014 [7]), suggérant que, pour envahir avec succès, les espèces exotiques doivent être similaires sur certains aspects pour traverser des filtres environnementaux et pourtant suffisamment différentes pour persister en exploitant des niches vides.

Prévoir, alors ?

Malgré ses limites, cette étude soulève d’importantes considérations concernant la gestion des invasions de plantes, car si les espèces exotiques résidentes facilitent l’invasion d’autres espèces exotiques, alors la précocité des interventions de gestion devient cruciale. Le fort effet observé du TRM sur le succès de l’établissement de nouveaux envahisseurs vient appuyer la nécessité de ces interventions précoces. Une meilleure compréhension des conséquences des interactions biotiques positives et négatives sur la structuration des communautés pourrait permettre de mieux diriger les efforts de gestion.

Les auteurs concluent qu’après 500 ans d’introduction d’espèces dans le monde et l’arrivée continue de nouvelles espèces, il est urgent de considérer les effets des espèces exotiques résidentes sur le succès d’invasion des nouveaux envahisseurs. Ils indiquent que leur constat sur la similarité des envahisseurs comme facteur favorisant le succès de l’invasion doit être testé dans d’autres systèmes d’étude. La multitude d’interactions biotiques et des besoins en matière d’habitat rendent en effet difficile l’identification des mécanismes écologiques en jeu dans les communautés.

Toutefois, déterminer comment les invasions initiales peuvent faciliter des invasions ultérieures améliorerait la compréhension des assemblages des communautés et pourrait peut-être permettre de prendre de meilleures décisions de gestion multi-espèces.

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant.
Relectures : Doriane Blottière et Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN.

Références bibliographiques :

[1] Sheppard C. S., Carboni M., Essl F., Seebens H., DivGrass Consortium, Thuillier W., 2018. It takes one to know one: Similarity to resident alien species increases establishment success of new invaders. Diversity and Distributions. 1 – 12

[2] Darwin, C. R. (1859). The origin of species. London, UK: John Murray.

[3] Violle, C., Choler, P., Borgy, B., Garnier, E., Amiaud, B., Debarros, G., … Viovy, N. (2015). Vegetation ecology meets ecosystem science: Permanent grasslands as a functional biogeography case study. Science of the Total Environment, 534, 43–51

[4] Carboni, M., Münkemüller, T., Lavergne, S., Choler, P., Borgy, B., Violle, C., … Thuiller, W. (2016). What it takes to invade grassland ecosystems: Traits, introduction history and filtering processes. Ecology Letters, 19, 219–229.

[5] Seebens, H., Blackburn, T. M., Dyer, E. E., Genovesi, P., Hulme, P. E., Jeschke, J. M., … Essl, F. (2017). No saturation in the accumulation of alien species worldwide. Nature Communications, 8, 14435.

[6] Marx, H. E., Giblin, D. E., Dunwiddie, P. W., & Tank, D. C. (2016). Deconstructing Darwin’s Naturalization Conundrum in the San Juan Islands using community phylogenetics and functional traits. Diversity and Distributions, 22, 318–331.

[7] Ordonez, A. (2014). Functional and phylogenetic similarity of alien plants to co-occurring natives. Ecology, 95, 1191–1202.

 

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