Perruches à collier contre chauves-souris : l’élimination d’une espèce menacée par une espèce exotique envahissante ?

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La Perruche à collier (Psittacula krameri) est considérée comme l’une des 100 espèces les plus envahissantes en Europe. Ayant souvent pour origine des individus échappés de captivité ou relâchés intentionnellement, ses populations se développent particulièrement en milieux urbains et plusieurs études ont déjà démontré leur impact négatif sur les oiseaux indigènes (par exemple Covas et al., 2017), par compétition pour l’accès aux sources de nourriture et aux sites de nidification.

Femelle adulte de perruche à collier attaquant une Grande Noctule à l’entrée d’une cavité. © Dailos Hernandez-Brito et al., 2018.

En 1992, un petit groupe d’individus a été relâché dans le parc Maria Luisa de Séville (Espagne), dans lequel nichait également la plus importante colonie européenne connue de Grande Noctule (Nyctalus lasiopterus), estimée à au moins 500 individus. Cette chauve-souris, la plus grande espèce présente en Europe, est classée comme “menacée” (VU) dans la liste rouge de l’UICN. Ses populations européennes sont très dispersées et l’Espagne concentre la majorité des colonies. L’espèce consomme des insectes et des petits passereaux, et les femelles se regroupent pour nicher dans les cavités des arbres. L’étude récemment publiée de Dailos Hernandez-Brito et ses collègues présente la réduction dramatique des populations de Grande Noctule comme conséquence de la multiplication des perruches à collier dans le parc Maria Luisa.

Des comportements de harcèlement et d’attaque par les perruches ont été observés : dans près de la moitié des cas (16 sur 36 observations), ces interactions agressives se sont conclues par l’éviction de la noctule de sa cavité. Des individus morts ont également été trouvés au pied des arbres, aussi bien des adultes que des juvéniles. Ces derniers ne quittant pas les nids, il est fort probable qu’ils aient été tués par les perruches après l’expulsion des adultes. Les cadavres analysés montraient clairement des blessures causées par les becs des perruches, en particulier des dégâts sur les patagiums[1]. Les auteurs indiquent n’avoir récupéré qu’une vingtaine d’individus mais que d’autres cadavres ont certainement été consommés par les rats et les chats vivant dans le parc ou n’étaient pas visibles dans la végétation. La Perruche à collier est la seule espèce à avoir été observée montrant des interactions agressives envers la Grande Noctule sur le site, bien que d’autres espèces présentes nichent dans le même type de cavités dans les arbres. Ces chauves-souris ayant un faible taux de reproduction, cette interaction avec les perruches à collier a un très fort impact sur la dynamique de leur population.

[1] Repli de peau, formant surface portante, reliant les membres au flanc ou entre eux, chez certains reptiles et mammifères, leur permettant de voler ou de planer.

Le suivi à long terme des arbres occupés par les noctules présente un constat alarmant : en 2003, 75 arbres présentaient des cavités utilisées par les noctules, en 2017 elles n’étaient plus présentes que sur 14 arbres du parc. Dans le même temps, 13 nids de perruches à collier étaient observés en 2003 et 311 en 2017.

Évolution de la répartition des arbres abritant des Grandes Noctules (en jaune) et abritant des nichées de Perruches à collier (en rouge) dans le parc Maria Luisa entre 2003 et 2017 (les ronds plus larges indiquent des points se chevauchant). © Dailos Hernandez-Brito et al., 2018

L’hypothèse d’une potentielle dispersion des noctules dans d’autres colonies où les perruches à collier seraient absentes a été réfutée par l’étude d’individus marqués, car seul un très faible nombre d’entre eux ont été observés visitant les colonies proches. De plus, le déclin des populations du parc Maria Luisa n’est pas compensé par l’augmentation des populations connues alentour.

Ce comportement agressif des perruches à collier a également été observé envers d’autres espèces de chauves-souris : une Noctule de Leisler (Nyctalus leisleri) a été tuée en Italie (Menchetti et al., 2014) et l’un des auteurs de la présente étude a observé trois perruches attaquant une Sérotine commune (Eptesicus isabellinus) à Séville en 2017. Ces observations ponctuelles pourraient également être considérées comme des indices d’impacts interspécifiques importants qu’il serait nécessaire d’étudier sur le long terme pour en évaluer les risques vis-à-vis d’espèces fragiles ou menacées comme les Chiroptères.

 

Blessures observées sur les cadavres de Grande Noctule trouvés au pied des arbres. © Dailos Hernandez-Brito et al., 2018.

Les auteurs tiennent à faire remarquer qu’une faible attention est souvent portée aux espaces urbains, souvent jugés pauvres en biodiversité, et que l’impact de la Perruche à collier serait probablement passé inaperçu si cette population de noctules n’avait pas fait l’objet d’une étude engagée avant le début de la colonisation par les perruches. Un suivi de plusieurs individus avait alors montré que les noctules revenaient nicher dans le même parc, et formaient des groupes sociaux complexes.

Ils concluent sur le fait que des actions pour réduire les populations de perruches et fournir des refuges artificiels pour les noctules sont urgentes car, dans le cas contraire, cette population de noctules s’éteindra complètement en quelques années. Un plan d’éradication, prévu pour le début de l’année 2017 par la mairie de Séville, a pourtant été annulé sous la pression d’associations de défenses du bien-être animal, la Perruche à collier étant une espèce charismatique appréciée du grand public.

Rédaction : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN
Relecture : Alain Dutartre, expert indépendant

 

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