Les espèces envahissantes : une menace pour l’agriculture mondiale

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Dean R. Paini et ses collègues australiens, néo-zélandais et américains viennent de publier un article dans les actes de l’Académie des Sciences des Etats-Unis [1] qui tente de faire un point sur les menaces que représentent les espèces envahissantes (insectes et pathogènes) pour l’agriculture mondiale.

Selon ces auteurs, l’ampleur et la répartition de ces menaces sur le globe reste difficile à préciser, aussi leur article présente-t-il les résultats d’une analyse portant sur près de 1 300 espèces invasives d’insectes et de pathogènes dans 124 pays du monde*. Cette analyse avait pour objectif de calculer le coût potentiel total des dommages créés par ces espèces envahissantes et d’identifier les pays qui peuvent présenter les menaces les plus importantes pour le reste du monde en raison de leurs partenariats commerciaux et des groupes d’espèces exotiques de leurs territoires (“incumbent pool of invasive species“).

Méthodes de calcul et proposition d’indices

Les données sur les espèces ont été extraites de la base mondiale du CABI (Centre for Agricultural Bioscience International)[2] en sélectionnant seulement les fiches de données complètes. Une sélection similaire a été appliquée aux données concernant l’agriculture et les échanges commerciaux : seuls les pays sur lesquels des informations issues de la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies) et le FMI (Fonds monétaire international) étaient simultanément disponibles ont fait partie de l’analyse.

  • Indice d’arrivée

Un indice d’arrivée d’espèce a été calculé à partir des données sur le commerce fournies par le FMI. Considérant que le nombre d’espèces invasives était en relation avec l’ampleur du commerce, la valeur d’importation moyenne de chaque partenaire commercial sur la période 2000-2009 a servi de base à l’établissement de l’indice. Calculée en divisant la valeur moyenne du pays commerçant à l’importation par la valeur d’importation totale moyenne de tous les pays commerçants, cette proportion a été utilisée comme un indicateur de la probabilité annuelle de l’arrivée d’une espèce arrivant dans le pays concerné.

  • Indice d’implantation

Un indice d’implantation pour chaque espèce dans chaque pays a été calculé à l’aide de la méthode mathématique des cartes “auto-organisantes” qui permet d’établir des associations entre espèces (présentées ci-dessous).

La menace d’invasion a été calculée pour chaque espèce invasive et chaque pays dès lors que l’espèce était présente dans un pays commerçant avec un pays où elle n’était pas encore présente mais où se trouvait une plante cultivée pouvant être menacée.

Différents calculs ont également été réalisés pour évaluer les menaces espèce par espèce, les menaces globales par type de culture et les menaces globales pour toutes cultures de chaque pays.

Carte A : menaces d’invasion. Les auteurs indiquent que, selon leur analyse, 40 des 124 pays évalués, soit 32 %, présentent un indice de probabilité d’arrivée annuelle d’une des espèces d’insectes ou de pathogènes supérieur à 0,80 et que cet indice est inférieur à 0,4 pour seulement 10 pays.

  • Coût des invasions

Pour estimer les coûts des invasions, les auteurs ont tout d’abord estimé l’impact potentiel par pays cible des espèces invasives choisies, sur les cultures concernées dans le pays. Pour ce faire, de la base mondiale du CABI ont été extraites les données d’impact maximal de 140 espèces sur les productions agricoles. L’estimation de ces dommages n’est pas disponible pour la plupart des espèces. Le choix de ces 140 espèces a porté sur une diversité représentative des taxons d’organismes nuisibles pour étendre l’éventail des impacts possibles de ces espèces sur toute culture en tout pays. Des évaluations statistiques ont été réalisées pour aboutir à des données d’impact potentiel moyen pour chaque espèce sur chaque culture dans chaque pays.

Carte B. Le coût total de l’invasion pour chaque pays menacé est la somme des coûts concernant toutes les cultures dans le pays menacé. Les auteurs notent qu’il était attendu que les montants des importations pouvaient fortement influencer ces coûts totaux mais qu’ils ont trouvé un certain nombre d’exemples où le nombre d’espèces menaçant un pays était le facteur explicatif principal.

Carte C : coût total des invasions en proportion du PIB. Ce calcul permet d’identifier les pays les plus vulnérables à ces invasions biologiques, parmi lesquels plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne

Les grands pays agricoles particulièrement concernés et des nœuds de réseau identifiés

Les résultats de cette analyse sont illustrés en quatre cartes présentant successivement pour chaque pays la “menace globale d’invasion”, le coût total de cette menace (en millions de dollars américains), le coût total en proportion du PIB, le coût total pour les pays sources des espèces invasives analysées.

Les auteurs constatent que les pays varient en termes de menaces potentielles liées aux espèces invasives mais aussi en tant que sources potentielles de ces espèces. Ils remarquent que les résultats obtenus pour des pays apparemment similaires peuvent parfois varier considérablement en fonction des spécificités de leur agriculture et la structure des échanges commerciaux. Les plus grands producteurs agricoles (Chine et Etats-Unis) pourraient connaître les coûts liés à de nouvelles invasions d’espèces les plus élevés (“the biggest agricultural producers (China and the United States) could experience the greatest absolute cost from further species invasions“). Selon leur analyse, ces deux pays représentent également les plus grandes sources potentielles d’espèces envahissantes pour le reste du monde (“the greatest potential sources of invasive species for the rest of the world.“) et peuvent ainsi être considérés comme les nœuds centraux du réseau mondial de la propagation des espèces invasives. D’autres pays, comme le Japon, l’Allemagne, la France et la République de Corée, ont également été classés comme principales sources d’espèces invasives. Enfin, l’Allemagne et la France ont également été identifiées comme nœuds de réseau (“network hubs“)[3]].

Carte D : coût total pour les pays sources des espèces analysées. Les auteurs font la même remarque que pour le calcul du coût total (carte B), c’est-à-dire que les montants des exportations et le nombre d’espèces invasives sont les deux principaux facteurs explicatifs. Ils signalent également que la moitié des pays présents dans la liste des 20 pays les plus importants comme sources d’espèces invasives se retrouvent dans la liste des 20 pays les plus menacés .

Une pression croissante et une nécessaire coopération internationale

Cette analyse révèle donc l’importance de la redistribution actuelle des ravageurs connus en agriculture et met en évidence la nécessité d’une coopération internationale pour ralentir leur propagation.

Ainsi, les auteurs terminent leur article en rappelant que comme le volume d’échanges et le nombre de connexions commerciales entre pays continuent de croître, les pressions liées aux espèces invasives vont s’intensifier. Selon eux, la création d’un organisme international responsable des espèces invasives pourrait non seulement permettre la gestion de ces espèces à l’échelle mondiale mais aussi fournir aux pays identifiés comme les plus vulnérables, les informations et éventuellement les ressources nécessaires pour protéger leurs frontières et limiter la propagation de ces espèces.

Alain Dutartre, 10 décembre 2016

En savoir plus :

* Sur le même sujet, voir l’étude menée par l’équipe internationale de chercheurs pilotée par Franck Courchamp, sur l’évaluation du coût minimal des dégâts causés par les insectes envahissants dans le monde (Bradshaw, C.J.A., Leroy, B., Bellard, C., Roiz, D., Albert, C., Fournier, A., Barbet-Massin, M., Salles, J.-M., Simard, F., Courchamp, F., 2016. Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects. Nature Communications 7, 12986. doi:10.1038/ncomms12986)

[1] Paini D. R., Sheppard A. W., Cook D. C., De Barro P. J., Worner S. P., Thomas M. B., 2016. Global threat to agriculture from invasive species. PNAS, vol. 113, N° 27, 7575–7579.

[2] http://www.cabi.org/cpc/

[3] Ercsey-Ravasz M, Toroczkai Z, Lakner Z, Baranyi J (2012) Complexity of the international agro-food trade network and its impact on food safety. PLoS One 7(5): e37810.

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